Plaidoyer pour des notaires instituteurs du Droit
Consentir vraiment, c'est d'abord comprendre. L'une des premières préoccupations du notaire, c'est de s'assurer de la bonne compréhension d'un acte par ses clients. Mais comment accomplir cette mission délicate ? En simplifiant ? Pas seulement. Il faut tenir compte de la situation de chacun et de la perception des notaires par les clients. Leurs relations réciproques sont souvent teintées de satisfaction, mais aussi de difficultés. Difficultés croissantes avec la complexité du Droit et des situations familiales. Décryptage.
Les Français apprécient leurs notaires. Contrairement à une idée trop répandue, les enquêtes de satisfaction prouvent que les notaires, parfois mal vus par certains leaders d'opinion ou par certains médias, sont appréciés de leurs clients.
Le Conseil Supérieur du Notariat publiait en juillet 2020 un baromètre de la satisfaction des clients NPS (1) après avoir fait sonder 40 625 clients. Le taux de satisfaction globale s’élevait à 94,5 %. Mais ces chiffres ne sont pas des lauriers sur lesquels les notaires doivent se reposer. Les insatisfaits sont encore trop nombreux.
C’est l’information quant à l’avancement du dossier qui est le point faible de la satisfaction-client dans les baromètres. Plus de 8 % des sondés reprochent aux notaires qu’elle est insuffisante. Il y a, de surcroît, un point sur lequel les baromètres demeurent silencieux; c’est l’information délivrée quant aux actes signés. Est-elle claire ? Des conseils ont-ils été donnés par le notaire ? Le client est-il capable de restituer l’information délivrée par son notaire à la suite d’un rendez-vous avec lui ?
Comme à chaque question importante à se poser, il faut revenir aux questions fondamentales: qu’est-ce qu’un notaire ? Laissons de côté les textes pour le définir; disons clairement les choses. Le notaire est à la fois un officier public qui peut utiliser le sceau de la République française pour authentifier des actes, et un officier ministériel sous la responsabilité du ministère de la Justice, nommé par le Garde des Sceaux.
Son travail est de certifier de l’authenticité -c’est-à-dire du caractère certain- de l’identité, de la signature, de la volonté des parties, et du contenu des actes. Ses actes font foi jusqu’à inscription de faux. Rappelons que le faux en écriture publique (un faux sur un acte notarié) est très lourdement sanctionné. Le notaire est aussi chargé de la conservation des actes et de leur publication pour les rendre opposables (c’est-à-dire les rendre publics).
Tout ceci est l’aspect le plus officiel du notaire. Mais il y a un autre aspect qui peut-être à l’égard des clients -et à plus forte raison- des Français, le plus important de tous; il est un juriste de proximité, un conseiller des familles. On dit même que le notaire est un “magistrat de l’amiable”, car il met en forme et officialise un accord trouvé, le plus souvent sous son impulsion.
Au-delà encore de cet aspect de médiateur -ou d’intermédiaire de confiance- pour ses clients, le notaire est celui qui explique le Droit applicable à une situation donnée. C’est là toute la difficulté de sa tâche. Faire comprendre la loi, et surtout, faire accepter qu’elle s’impose à tous.
Comment, par exemple, expliquer un rapport de donation à la valeur réactualisée dans une succession ? Comment en faire accepter le principe et le résultat du calcul ?
Comment, plus basiquement, expliquer le déroulement des phases du règlement d’une succession aux héritiers ? Quelle est l’utilité d’une convention de quasi-usufruit ? Comment faire comprendre qu’un inventaire mobilier n’est pas toujours indispensable ?
C’est là tout le défi des notaires. Juristes diplômés voire multi-diplômés et aguerris aux différentes situations, il leur faut savoir rendre digeste une information complexe. Il faut l’avoir vécu pour comprendre que c’est une tâche ardue.
Dans les formations notariales -qu’elles soient universitaires ou professionnelles- aucun contenu le permettant n’est délivré aux étudiants. On les avertit -certes- de ce devoir impérieux qu’est de faire signer les parties qu’après s’être assuré de leur « consentement éclairé », mais on ne leur dit pas comment y parvenir.
Lacune ? Considération d’une évidence ? Erreur surtout ! Voilà une réforme à engager intéressante, importante dans la formation des notaires.
Je me souviens d’une grande professeure agrégée des facultés qui avait émis une bonne idée : « Faites-faire une bande dessinée dans laquelle on envisage tous les contrats de mariage possibles. Vos clients pourront la lire à la maison après vous avoir vu. » Riche idée ! Mais ne serait-ce pas à la profession de s’organiser et d’abandonner les fiches en ligne ou papier rébarbatives (à disposition dans toutes les bonnes salles d’attente…) ? Ne serait-ce pas à cette grande institution républicaine qu’est le notariat de réaliser des visuels clairs, parlants, rapides, pour servir d’aide-mémoire aux clients ?
Il faut évoluer. Faire des vidéos, communiquer sur les réseaux sociaux, expliquer que non seulement l’accès aux conseils est facile chez les notaires mais aussi qu’ils donnent des aides-mémoire à la suite des rendez-vous, tel est la direction à poursuivre.
Donner un aide-mémoire à l’issue d’un rendez-vous, ce n’est pas simplifier à outrance le Droit. C’est permettre de s’assurer d’un consentement éclairé; c’est-à-dire renforcer l’authenticité. Les notaires et les magistrats de l’ordre judiciaire comprendront tout l’intérêt d’une telle idée.
Je me souviens de ce notaire (qui se reconnaîtra) qui s’escrimait à faire des schémas à ses clients sur un brouillon, lors de ses entretiens. Un véritable Picasso dans l’âme, alternant ronds, océans, îlots, camemberts et couleurs, tableaux et flèches. Tout un art ! Il n’était pas rare que ses clients lui demandent de les leur laisser à la fin du rendez-vous. Un brouillon qui sera pourtant, une fois sorti de l’étude, un document presque inexploitable. En effet, ce n’est pas très facile de retrouver le schéma de pensée du notaire sans lui, malgré tout son talent de dessinateur… A moins qu’il n’en n’ait guère… Ce qui complique encore les choses.
Lors, quelle est la bonne méthode ? Cela tient à une alchimie fine entre méthode d’explication, focalisation des réponses données au client sur ses questions profondes, qualité d’écoute, et restitution d’une synthèse en fin de rendez-vous. Il n’y a malheureusement aucune recette parfaite.
Mais revenons à la satisfaction-client. Le plus grand écueil est celui du manque d’explication. Un domaine particulier est visé : celui des successions.
C’est peut-être la matière la plus faible des notaires en matière de notoriété (sans jeu de mot). Les enquêtes de satisfaction sont d’ailleurs silencieuses sur ce sujet. Trop lents ? Trop expéditifs ? Trop silencieux sur les sujets sensibles ? Trop ignorants sur certains détails de gestion ? La facture d’électricité n’a pas été payée depuis le décès de maman, les impôts adressent relance sur relance sans que personne ne leur réponde, et le secrétariat de l’Etude est débordé, le clerc ou le notaire sont injoignables.
Allez, disons-le en toute franchise : il y a encore une grande marge de progression possible. Mais là n’est pas notre propos. Chaque notaire doit battre sa coulpe et savoir se remettre en cause sur ses points faibles.
Le propos, c’est celui de la pédagogie im-pé-ra-tive. S’il y a un surcroît de pédagogie, il y a un surcroît de clarté. Si l’information est donnée au client, il comprend ce que fait son notaire, et il est de ce fait moins enclin à lui reprocher des retards mineurs ou une absence de réponse immédiate, laquelle est ô combien insupportable à l’heure du smartphone et de la livraison de repas en un quart d’heure chrono.
Ce sont toutes les raisons pour lesquelles nous émettons ces quelques humbles recommandations didactiques aux notaires et à leurs collaborateurs qui ont à cœur de contribuer à une perception du notariat plus actuelle, plus sécurisante, plus claire.
A notre sens, il faudrait:
- Expliquer lors du premier entretien le déroulement des opérations à venir et le travail effectué par l’Etude notariale. Par exemple : « Je vais vous expliquer ce qui va se passer dans les prochains mois… »
- Associer dans les explications les collaborateurs (notamment les clercs) qui vont intervenir, mais en restant simple. Il est inutile de rentrer dans les détails. La « cuisine notariale » n’intéresse pas les clients, ils nous le disent souvent. Par exemple: « C’est Monsieur Untel, clerc aux successions, qui va s’occuper de vous. Il vous rappellera d’ici quelques semaines pour un premier contact et mettre en place les informations indispensables aux actes… »
- Lors de chaque acte, rappeler où l’on en est. Resituer l’acte dans le déroulement global des opérations. Par exemple : « Aujourd’hui, nous nous voyons pour…, cela marquera la deuxième étape. Nous nous reverrons dans… pour…»
- Lors de chaque acte, en expliquer l’objet avant d’entamer la lecture, et dire ce qu’il en résultera. Avant aussi d’aborder l’acte lui-même, purger les problèmes. Par exemple : « Avant de commencer la lecture de l’acte, avez-vous des questions ? Y-a-t-il des points que vous souhaiteriez aborder; cela nous permettra d’adapter l’acte. »
- Ne pas oublier de conclure après le dernier acte signé. On oublie trop souvent de dire qu’il y a un point final à un processus. Chez un notaire, il n’y a jamais d’évidence; mieux vaut tout dire, même une chose simple. Par exemple : « Voilà, tout est signé, c’est la dernière fois que nous voyons pour cette succession. Vous n’avez plus de démarche à effectuer, sauf si vous avez des questions bien sûr. C’est nous qui vous enverrons vos copies authentiques / fonds, votre relevé de compte Etude… »
- Plus généralement, l’envoi, préalablement au rendez-vous de signature, des projets d’acte, est à la fois indispensable et néfaste. Indispensable, car il fait connaître au client le contenu de ce qu’il va être invité à signer. Néfaste, parce qu’il fait croire au client comme au notaire que tout a été vu, que tout a été compris. Et pourtant, c’est tellement faux. Le langage juridique employé est incompréhensible dans la plupart des actes. Il n’est d’ailleurs pas fait pour être compris des clients, mais des magistrats, des avocats, des notaires, et de façon plus générale, des juristes.(2) Se reposer sur l’envoi d’un projet d’acte est un mirage de l’authenticité. Il ne doit point être pris comme un outil favorable au consentement éclairé, mais tout au plus comme une intention délicate, et une information sur les états-civils, les biens, les sommes.
Telles sont ces quelques pratiques de bon sens qui sont à la croisée des regards. Le regard du client, et celui du notaire, celui d’un béotien, et celui d’un spécialiste, celui du citoyen, et celui de l’Etat.
“Les notaires, instituteurs du Droit”, ce devrait être presque leur premier rôle, car en effet, comment peuvent-ils faire signer un acte si le Droit qui lui est applicable n’a pas été compris, ni, d’une certaine façon, n’a été assimilé ?
L'enseignement du Droit n’est pas que le renseignement du Droit. Il faut aller plus loin, être ambitieux dans ce devoir de transmission. La paix civile et sociale que les notaires se proposent d’apporter ne peuvent se faire que s’il y a consentement au Droit. Et pour consentir, il faut connaître.
D’aucuns diront que ces recommandations sont des truismes. Mais les truismes ont leur utilité. Ils disent ce à quoi d’autres ont déjà pensé. Tant mieux ! Le bon taux de satisfaction des notaires témoigne que l’essentiel est fait. Mais toute la profession peut encore s’améliorer. Assistants notariaux, secrétaires, standardistes, comptables-taxateurs, clercs, notaires, tous peuvent apporter leur pierre à l’édifice grâce à leur clarté, leur concision, voire leur imagination. Le Droit est une maison bâtie sur sa compréhension par tous. Ne l’oublions jamais.
- Le Net Promoter Score (NPS) désigne un indicateur permettant de connaître et de mesurer la satisfaction et la fidélisation des clients
- à ce sujet: CASSO, Régis, Pourquoi les actes notariés sont-ils incompréhensibles ?, [en ligne], 17 février 2021, disponible à l’adresse URL: https://officecasso.notaires.fr/categories/veille-notalis-13698/articles/pourquoi-les-actes-notaries-sont-ils-incomprehensibles-132.htm
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